La Pluie d’été

texte Marguerite Duras
mise en scène Sylvain Maurice

La connaissance d'Ernesto se construit à travers l'expérience : l'amour des parents, le désir partagé avec sa sœur Jeanne, le deuil de l'enfance. Avec simplicité et démesure, Duras fait d’Ernesto – celui qui ne sait rien – une conscience de notre temps.

Publié en 1990, La Pluie d’été raconte avec humour et humanité, l’histoire d’une famille d’immigrés – le père, la mère et les nombreux enfants – à Vitry-sur-Seine. Ernesto, l’aîné, qui ne sait ni lire ni écrire, refuse d’aller à l’école, parce qu’on lui apprend des choses qu’il ne sait pas. Dans un grand livre brûlé, il découvre l’histoire ancienne d’un vieux roi, qu’il ranconte à ses « brothers et sisters ». Le garçon comprend sans apprendre : la physique, les mathématiques, la philosophie… Ainsi, sa mère, son père, son instituteur, tout le monde est déboussolé…

 

Distribution

 

avec Nicolas Cartier, Pierre-Yves Chapalain, Philippe Duclos,
Julie Lesgages, Philippe Smith, Catherine Vinatier
collaboration à la mise en scène Nicolas Laurent
scénographie et costumes Marie La Rocca
assistée de Jules Infante
lumière Marion Hewlett
son Jean de Almeida  
construction décor Bureau d’Études spatiales
répétitrices Béatrice Vincent, Olivia Sabran
régie générale Rémi Rose
production Théâtre de Sartrouville et des Yvelines-CDN,
TJP Centre dramatique national d’Alsace–Strasbourg © E. Carecchio

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A savoir

 

ENTRETIEN AVEC SYLVAIN MAURICE

 

Pourquoi avoir choisi de monter La Pluie d’été ?

Ce roman choral est une œuvre extraordinaire, empreinte d’une profonde vitalité. Duras, au seuil de sa vie, y célèbre la connaissance de la vie, celle des enfants sauvages, la connaissance intime. Elle met en scène des gens simples qui n’ont pas la connaissance, celle des élites. Il m’a semblé urgent de rendre hommage aujourd’hui à ces « gens de peu ».

La fable de Duras est à la fois très simple, concentrée sur le parcours d’Ernesto avec des personnages aussi décalés que concrets, et une parabole sur le savoir, la connaissance avec une dimension métaphysique.

On peut effectivement parler de simplicité... La Pluie d’été est une œuvre directe grâce à une langue très orale qui se déploie dans les dialogues vifs et étrangement drôles. Comme la langue d’origine des personnages n’est pas le français ou bien qu’ils sont analphabètes, Duras invente une langue originale. Surtout elle donne l’illusion « qu’on pense comme on parle ». Les pensées s’énoncent en direct, au présent, dans un étonnement permanent. Ernesto et sa mère, qui fonctionnent en miroir, accouchent de ce qu’ils ont à dire en même temps qu’ils le disent.
La pensée est sur un fil, dans une continuelle reformulation. Les pensées les plus hautes se heurtent à la trivialité d’un parler populaire. En cela, il y a une dimension clownesque : les personnages sont très typés, leur langage est maladroit et, en même temps, ils sont traversés de fulgurances métaphysiques. Cette dimension philosophique, au début de la fable, est très peu présente. Mais au fur et à mesure qu’Ernesto acquiert de nouveaux savoirs (et il assimile tout), il va être traversé par « une conscience de l’inconnaissable ». Ernesto se sert du grand livre brûlé, L’Ecclésiaste. En même temps qu’il s’identifie à David, roi de Jérusalem, il en acquiert la pensée tragique : « J’ai compris que tout est vanité / Vanité des vanités / Et poursuite du Vent ». Duras attribue à Ernesto – celui qui ne sait rien – la conscience que le véritable savoir est d’une autre nature que le savoir lui-même. Et à travers ce procédé, Duras reconvoque tous les grands thèmes qui traversent son œuvre : la figure d’une mère extraordinaire et dévorante, la passion amoureuse entre frère et sœur, la pauvreté et le déracinement, l’effroi partagé, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avec son mari Robert Antelme qui revient des camps…

On peut ainsi privilégier une lecture autobiographique où Duras reprend ses grandes obsessions.

Oui, tout est là, jusqu’à l’alcool, quand les parents partent se saoûler dans les rades de Vitry et ses environs. On peut également faire une analogie avec le Vitry-sur-Seine imaginé par Duras et le souvenir du Vietnam où Marguerite a passé toute son enfance. La pluie d’été qui tombe fait penser à la mousson... Mais je vois une singularité propre à cette œuvre, qui est de nature à fédérer les durassiens et ceux qui sont plus sceptiques face à cet auteur : la figure d’Ernesto (Duras dit s’être inspirée de Outa, son propre fils) décale et transforme les obsessions de l’auteur. Elle les allège, elle donne une place au rire, à la distance. C’est à la fois grave et léger, sans pathos.

Qu’est-ce qui a motivé ce choix d’un texte extérieur au répertoire théâtral ? Comment s’est faite l’adaptation pour la scène ?

La Pluie d’été est un roman dialogué, souvent adapté et mis en scène pour le théâtre. Il est assez évident d’en faire une version scénique : il s’agit surtout de repérer les coupes. La question la plus sensible concerne les passages narratifs : pour ma part, je fais le choix de les limiter au strict nécessaire.
Et même quand c’est possible, je préfère recréer le dialogue plutôt que de garder le récit. Nous sommes ici dans un dispositif scénographique léger.
Ce sont les rapports des corps entre eux et la présence des acteurs qui guident les choix. Deux idées guident le travail : un espace ouvert, non figuratif, où ce sont les accessoires qui donnent sens à l’espace ; un espace évolutif, qui raconte le parcours d’Ernesto, de sa « venue au monde » à son départ pour l’Amérique.

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