Frères sorcières

Un être est condamné à une errance sans fin. Il traverse ainsi les siècles et glisse de corps en corps, tantôt masculin, tantôt féminin. Pour porter ce périple surnaturel, quatre interprètes se passent le relais dans un dispositif plastique de toute beauté où les lumières nimbent le plateau de mystère. Des images surgissent, des voix s’élèvent. Elles déroulent la parole ininterrompue du récit. Comme un flux de conscience qui aurait percé la ouate du silence. Une fascinante exploration. Joris Mathieu retrouve ici son auteur fétiche, Antoine Volodine – lauréat 2014 du Prix Médicis. L’alliance de leurs univers singuliers crée une représentation envoûtante, qui nous entraîne dans une expérience sensorielle et sensuelle aux frontières de la magie…

La Fuite

Sac sur le dos, il court. Vagabond, fugitif, réfugié d’hier ou d’aujourd’hui, il affronte les obstacles en série que la vie sème sur sa route. Imaginée par le cinéaste et metteur en scène Olivier Meyrou en collaboration avec Matias Pilet, cette petite forme de cirque réinvente la figure du clown qui fit les grandes heures du cinéma muet. Petit ou grand, on rit de ce qui lui tombe sur la tête, tout autant amusé par sa fragilité qu’admiratif devant sa capacité à se sortir de situations inextricables. Matias Pilet incarne avec grâce et innocence ce héros malmené. Tour à tour acrobate, mime, danseur, il excelle avec une économie de moyens – une tente, les sonorités d’un piano bastringue, quelques bruitages évocateurs… – à nous transporter et nous émouvoir.

Où les cœurs s’éprennent

Louise n’a qu’un désir : regagner chaque week-end son studio parisien pour profiter du monde sans la présence de son compagnon qui l’attend en banlieue dans leur appartement. Quant à Delphine, qui aimerait passer de belles vacances et, si possible, trouver un amoureux, elle erre chez les uns et les autres, traînant une solitude plus lourde que sa valise. Ce portrait féminin en deux temps a le charme du cinéma d’Éric Rohmer. Thomas Quillardet a adapté pour le théâtre les scénarios des Nuits de la pleine lune et du Rayon vert. Sur une scène toute blanche, avec peu d’accessoires, les comédiens donnent corps aux sentiments, des plus légers aux plus intenses. On entend battre leurs cœurs.

Chute!

L’envol, le point de suspension, la rotation, la chute : ces quatre étapes structurent n’importe quelle acrobatie de cirque. Ici, il s’agira de traverser les sensations du chuteur, de les décrire avec précision, de questionner avec humour cette expérience pour mieux se l’approprier. Car inévitable est le plongeon, la reprise de contact avec le sol, le retour à la réalité… Par le biais d’un dispositif quadri frontal – un ring bordé de gradins –, les spectateurs sont en prise directe avec le duo d’acrobates. Dans cet espace resserré, la rigueur de la recherche scientifique côtoie la jouissance des jeux enfantins, tandis que le piano égrène les mélodies en contrepoint de quatre fugues de Bach.

Le Jeu de l’amour et du hasard

Un étincelant quatuor d’acteurs arpente le jardin verdoyant d’un imposant manoir. Laure Calamy, Vincent Dedienne, Clotilde Hesme et Emmanuel Noblet mènent le bal d’une piquante représentation. Deux jeunes nobles sont promis l’un à l’autre. Ne se connaissant pas et voulant se tester, ils se font passer pour leurs valets tandis que ces derniers endossent les habits de leurs maîtres. Ces chassés croisés suscitent d’irrésistibles quiproquos. On rit beaucoup, même si le spectacle ne passe pas à côté de ce que dénonce aussi la pièce : la cruauté des rapports sociaux. Cette comédie féroce nous rappelle qu’il vaut mieux être du côté des puissants, et elle a l’élégance de le faire avec un humour salvateur.

blablabla

blablabla explore la diversité des pouvoirs et des usages de la parole humaine et s’interroge sur ce que les enfants entendent du monde. En transformant sans cesse sa voix, l’actrice – également musicienne et danseuse – fait naître une multitude de personnages, de situations. Se croisent et se mélangent le quotidien et le féerique, le documentaire et la fiction, le domestique et le médiatique, le concret et l’absurde, le parlé et le chanté. Qu’entend on du sens des mots extraits de leurs contextes quand on s’en empare comme d’une matière sonore ? Que voit-on alors de leur pouvoir et du pouvoir qu’ils ont sur nous ? Le point commun entre toutes ces paroles est une époustouflante collection d’expressions, de rythmes et d’accents. Un véritable trésor !

At The Still Point Of The Turning World

Une danseuse, deux marionnettistes et une musicienne se tiennent en lisière d’une foule de marionnettes à longs fils, stockées dans leurs sacs. C’est l’image d’un temps suspendu: des êtres immobiles en attente d’un devenir. Une marionnette émerge peu à peu de cette communauté compacte pour prendre son envol. Poursuivant son travail autour de la marionnette à fil, Renaud Herbin s’associe à la danseuse Julie Nioche pour explorer le corps suspendu et le mouvement à sa source. L’espace de la danse prend forme dans la tension entre force de gravité et dynamique aérienne, à la jonction du corps et de la matière. On ne sait plus d’où part l’ondulation, où est la limite entre vivant et inerte, si les corps dansent ou sont dansés…

Mélancolie(s)

Julie Deliquet entretient avec Anton Tchekhov une connivence telle qu’elle peut, partant de la pièce Les Trois Sœurs, bifurquer en chemin pour rejoindre Ivanov, un autre grand texte du génie russe. On fait ainsi la connaissance d’Irina, de Macha et d’Olga, toutes trois avides d’un ailleurs qui se dérobe constamment. Puis on rallie les pas d’Ivanov, cet homme qui aurait tellement aimé être heureux et qui n’y parvient pas. Parce que l’auteur russe aimait les exaltés, celles et ceux qui exigent toujours plus de la vie, les acteurs sur la scène semblent avoir la fièvre au corps. Habillés de jeans et de tee-shirts, ils sont d’un naturel inouï. La représentation pulse comme pulse l’existence.

Les déclinaisons de la Navarre

Dans un jardin, Marguerite, future Reine Margot, croise pour la première fois celui qui deviendra son époux, Henri de Navarre. Cette scène de rencontre amoureuse sert de point de départ aux deux danseurs du collectif pjpp, qui la rejouent et en déclinent toutes les variations possibles. Des situations aussi drôles qu’absurdes surgissent : changement de décor ou de procédé narratif, ajout de contraintes physiques ou langagières, répétition et parodie. Soutenus par une bande sonore alliant toutes les influences musicales, leur danse suit une progression rythmique dont les réglages au millimètre renforcent toute la théâtralité. Un spectacle aussi léger qu’exigeant.

La vie devant soi

Pour ne pas vivre sans amour, il faut choisir soi-même sa famille de cœur. Le lien qui unit Momo, le petit Arabe débrouillard, à Madame Rosa, une vieille femme juive autrefois prostituée, est de ceux qui sont indéfectibles. Du roman de Romain Gary – signé sous le nom d’emprunt d’Émile Ajar –, Simon Delattre a tiré une adaptation théâtrale et musicale qui fait souffler un vent d’espoir. L’altruisme, la solidarité et la générosité sont en effet au centre de cette représentation émouvante, drôle et ludique. La foule pittoresque des personnages qui peuplent le récit est incarnée en scène par une série de marionnettes. Façon de rappeler à chacun qu’il n’est pas vain de prêter l’oreille à l’enfant tendre qui sommeille en nous.