Misericordia

L’œuvre prolifique d’Emma Dante sublime le théâtre de l’intime. Elle s’inspire d’histoires réelles pour réfléchi sur le mal-être de la société et dénoncer la violence et l’ignorance qui en émanent. Trois prostituées et un garçon infirme vivent dans un appartement d’une seule pièce, sale et misérable. La journée, elles tricotent, et dès la nuit tombée elles offrent leurs corps aux passants. Arturo est l’orphelin de leur sœur de trottoir, morte en couche. D’une étrangeté attachante, il est devenu le fils de chacune. Tous les soirs, à la même heure, il regarde passer la fanfare en rêvant de jouer de la grosse caisse. Et dès la première note, comme un pantin désarticulé, le gamin s’élance dans une danse flamboyante. Victimes de la misère sociale et unies par l’affection qu’elles portent à l’enfant solitaire, Anna, Nuzza et Bettina bataillent contre leur condition et la violence des hommes.

Dans un tourbillon d’émotions et de scènes burlesques, cette pièce, d’une puissance rageuse, déclame haut et fort que la pauvreté n’empêche pas l’amour. Éclats de voix et éclats de rire, tendresse et colère s’entremêlent pour nous offrir un puissant moment d’humanité. Succès du Festival d’Avignon en 2021, Misericordia, qui vient des mots « misère » et « cœur » en italien, est une magistrale ode à la solidarité féminine.

Léviathan

Remarquée pour ses adaptations libres de textes du répertoire, Lorraine de Sagazan entame un cycle de créations tissées à partir de collectes d’entretiens. Pour La Vie invisible en 2020, elle recueillait les mots de personnes malvoyantes, pour Un Sacre en 2021 elle a pris pour point de départ la parole autour de l’absence de prise en charge de la mort pendant la pandémie. Avec cette pièce, Léviathan, elle se concentre sur les sentiments de justice et d’injustice.

Dans ce spectacle, Lorraine de Sagazan pense le théâtre comme un contre-espace pour interroger le fonctionnement du système judiciaire, ses béances, ses alternatives. Le Léviathan, figure biblique ambivalente, à l’immense héritage philosophique et littéraire pose la question suivante : qui est le monstre ? Se confrontant à la construction instituée du droit, son organisation ; la détention de l’autorité et de la violence dite légitime, le spectacle tente, usant de registres divers, de renverser certaines évidences et d’opérer des points de bascules par delà le bien et le mal.

Kolizion

Nommé à de multiples reprises aux Molières pour ses pièces, Nasser Djemaï poursuit son inlassable recherche autour de nos héritages, de nos constructions identitaires, de nos fantômes, de nos filiations. Né de parents algériens, l’auteur, metteur en scène et directeur du Théâtre des Quartiers d’Ivry, s’est toujours entendu conter les histoires fantastiques du pays de ses origines. Ce n’est sans doute pas un hasard si Kolizion est peuplé de voix intérieures, d’objets venus de l’enfance, d’élans sacrés.

Seul en scène, un personnage nous raconte son voyage. Septième d’une lignée de garçons, Mehdi est voué dès sa naissance à une destinée singulière. Mais les astres n’offrent pas toujours ce qu’ils promettent ! Un grave accident perturbe le destin et le voilà devant nous, qui retrace avec drôlerie les rebondissements de son existence. Dans toute sa simplicité, la parole dessine les lignes d’un parcours initiatique singulier. Révélé dans les spectacles de David Bobée dans lesquels il incarnait un mémorable Peer Gynt ou encore un brillantissime Dom Juan, l’acteur Radouan Leflahi porte avec maestria ce texte écrit sur mesure pour lui.

Ararat

C’est sur le mont Ararat, en Arménie, que s’échoue l’Arche de Noé dans la Bible. Objet de fascination continue en Occident, l’Arménie est l’incarnation géographique et le mémorial de l’Orient des origines. Peuple de voyageurs et voyageuses au Moyen âge, et en exode depuis le terrible génocide de 1915, les Arménien·nes font naître de ces rencontres de fertiles créations musicales. Canticum Novum leur redonne une place en croisant un collectif multiculturel d’interprètes et une partition foisonnante du répertoire arménien (danses, chansons populaires et poésies mystiques du Xe au XVIIe siècle). Chacun·e adopte la culture de l’autre et s’en fait caisse de résonance, démultipliant les accents émotionnels d’une humanité plurielle.

Créé par Emmanuel Bardon en 1996, Canticum Novum puise dans les répertoires méditerranéens, et aussi afghans, turcs, persans, arabes, séfarades, arméniens, cypriotes… Par cette transmission et ce partage, Canticum Novum les fait vivre au présent, sans pour autant tenter de les rafraîchir, l’occasion de découvrir des instruments de musique méconnus ou oubliés comme le duduk (hautbois arménien), le nyckelharpa (instrument traditionnel d’origine suédoise), le kamânche iranien… Ces musiques, éton-namment vivantes après huit siècles, évoquent la tolérance qui naît de la diversité.

La Vie en vrai (avec Anne Sylvestre)

Disparue en 2020, Madame Anne aura marqué plusieurs générations. Un bon nombre d’entre nous se souviennent de ses mythiques Fabulettes, moins peut-être celles et ceux qui connaissent ses chansons pour adultes. En soixante ans de carrière, elle a pourtant composé et chanté plus de 300 chansons, à la fois belles et drôles, graves et légères, délicates et indignées. « Féministe, c’est bien la seule étiquette que j’aurais honte d’enlever, affirmait celle qui chantait l’émancipation, la liberté des femmes à disposer de leurs corps et leur héroïsme quotidien.

En tout simplicité, la comédienne Marie Fortuit et la pianiste Lucie Sansen offrent une plongée dans l’univers foisonnant de la chanteuse, tout en questionnant leur propre rapport à cet héritage. Comment deux jeunes femmes endossent-elles la colère féroce, l’humour cinglant, la mélancolie solaire d’Anne Sylvestre pour mener leurs propres combats ? Archives radiophoniques, extraits d’interviews et chansons répondent à leurs récits. En duo, s’accompagnant d’un harmonium, d’un clavier et d’une guitare, elles déroulent le fil d’un matrimoine puissant et percutant. Avec tendresse, elles brossent un portrait intime et touchant, qui rend Madame Anne plus vivante que jamais.

L’Avare

Formé auprès de Michel Bouquet et acteur au théâtre comme au cinéma, John Arnold rêvait d’incarner Harpagon, le plus célèbre radin de l’histoire du théâtre. À force de vouloir protéger sa cassette et ses dix mille écus d’or, Harpagon devient fou. L’avarice n’est-elle pas d’ailleurs l’un des sept péchés capitaux ? Mais dans un monde abîmé par la surconsommation, l’esprit de sobriété trouve ses lettres de noblesse. Sur le modèle de l’économie circulaire, que serait donc un « spectacle circulaire » ?

Clément Poirée, directeur du Théâtre de La Tempête, s’amuse en imaginant une mise en scène elle-même frugale de L’Avare, en phase avec les préoccupations de notre temps. Troupe en sous-vêtements et étagères vides sont les premiers ingrédients de cet Avare en mode décroissance. Le reste, c’est au public de l’apporter ! Cette raquette qui traîne dans votre garage, cette chemise qui encombre votre placard ? Les acteur·ices en feront leur miel ! Chaque soir, troupe et public construisent collectivement le spectacle. Dans la droite lignée de la commedia dell’arte, la joie de l’improvisation, la force de l’esprit de troupe et le goût du jeu redonnent tout son éclat à cette pièce mythique du répertoire.

Une histoire de l’argent racontée aux enfants et à leurs parents

Comment l’argent a-t-il été inventé ? L’humanité a-t-elle toujours ,échangé ou a-t-elle plutôt partagé ? Qu’est-ce qui donne vraiment de la valeur aux gens, aux choses ? Deux apprentis anthropologues nous reçoivent dans leur cuisine où ils nous racontent, entre Top Chef et les Monty Python, à l’aide d’un jeu de société inventé pour l’occasion, l’histoire de l’argent. Soit 5 000 ans d’histoire, d’échanges commerciaux et de montages économiques mis en scène avec les aliments qui leur servent à préparer un repas…

Du partage d’un aurochs à l’invention de la première monnaie comestible en Mésopotamie (l’orge) jusqu’à l’achat de certaines ressources naturelles lors de l’épopée capitaliste qui inaugure l’agro-industrie… Entre art d’apprendre et enfance de l’art où des boîtes de sardines peuvent devenir d’incroyables tankers et des grains de riz une armée de légionnaires romains. Ludique et pédagogique, ce spectacle à partager entre toutes les générations est l’occasion à la fois de revenir sur des idées toutes faites et de se munir de connaissances pour appréhender le monde.

The Interrogation

Traduits dans une dizaine de langues, les textes d’Édouard Louis auscultent sa propre histoire pour chercher à comprendre notre époque. Ses romans En finir avec Eddy Bellegueule ou Histoire de la violence sondent sans concession la honte sociale, l’épreuve de l’homophobie, le harcèlement scolaire, le sentiment d’imposture, l’émancipation par la culture. En oscillant entre fiction et réalité, The Interrogation explore la vie du jeune transfuge de classe sauvé par les rencontres décisives qui ont fait basculer son destin. Madame Coquet, directrice de son collège, lui fait découvrir le théâtre et les grand·es auteur·rices (Jean-Luc Largace, Wajdi Mouawad) et l’encourage à quitter sa petite ville pour intégrer le lycée avec option théâtre d’Amiens. Puis c’est Didier Eribon, philosophe et sociologue, qui l’incite à poursuivre ses études à l’École nationale supérieure et le pousse à écrire.

Seul en scène, le comédien Arne de Tremerie, à la ressemblance troublante avec Édouard Louis, incarne les cheminements intérieurs de l’auteur. Écrit en 2021, ce monologue questionne avec une sincérité désarmante le doute, la désillusion et l’échec. Au croisement de l’intime et du politique, il sonne comme une méditation touchante sur la vulnérabilité et la mélancolie.

FIQ! (Réveille-toi)

Fondé par Sanae El Kamouni et révélé en 2003 avec Taoub mis en scène par Aurélien Bory, le Groupe acrobatique de Tanger poursuit ses recherches innovantes dans le champ du cirque contemporain. Riche d’une tradition ancestrale de pyramides humaines, le Maroc fourmille d’acrobates de talent. Grâce à des auditions dans tout le pays, quinze jeunes artistes aux personnalités flamboyantes, aux horizons aussi divers que l’acrobatie traditionnelle ou les danses urbaines, se rencontrent en 2018 pour la création de FIQ! (Réveille-toi), prêt·es à partager au monde entier la vitalité contagieuse qui les habite.

Sous la houlette de la metteuse en scène et circographe Maroussia Diaz Verbèke, l’équipe fait de la scène une grande fête où célébrer la liberté dans une effusion d’audace, d’humour et de joie. Le célèbre photographe Hassan Hajjaj, maître incontesté du pop art made in Maroc, signe scénographie et costumes de ce spectacle de haute voltige. Dans un décor kitsch et joyeux fait de caisses en plastique colorées et de tapis à motifs, les jeunes acrobates incarnent une ode exaltée au Maroc d’aujourd’hui. Sur les rythmes et les scratchs endiablés de DJ Dino, les voilà qui clament leur volonté de changer le monde. Une révolte joyeuse et irrévérencieuse. Débordement général garanti !

MC★Solaar

Depuis une trentaine d’années, il démocratise le rap grâce à un style particulier, poétique et tenace. MC Solaar, ce sont des tubes (Bouge de là, Victime de la mode, Caroline), une écriture pointue et un flow nonchalant. Après de multiples distinctions, dont cinq victoires de la musique et de nombreux Disques d’or, le magicien des mots fait son grand retour avec un nouvel album : Lueurs célestes, première partie d’un projet prévu en trois volets. On y remonte le labyrinthe de sa vie dans lequel il pioche, selon l’inspiration, une foule d’éléments disparates, parfois absurdes. Il emprunte aussi au voyage : des percussions brésiliennes à la French Touch, ou encore à la musique cubaine et aux pas de salsa, toujours au service d’un hip-hop lettré et généreux. Avec ses nouveaux morceaux très dansants Modernidad, Ils dansent et Pierre-feuille, il nous prouve qu’il n’a rien perdu de sa créativité.

Découvrez-le en concert, accompagné de son groupe survolté de sept musiciens et DJ talentueux. Préparez-vous pour les Lueurs célestes !